Good-bye, Dalaï-lama ?

Les réincarnations des dalaï-lamas règnent sur le Tibet depuis 5 siècles. Tenzin Gyatso, l’actuel 14ème, vient d’annoncer qu’il n’aura sûrement pas de successeur. Que faut-il en comprendre ? Fini les renaissances ? 

 Septembre 2014. Le 14ème dalaï-lama glisse dans un entretien au journal allemand Welt am Sonntag qu’il se voit sans successeur. Tenzin Gyatso occupe la fonction depuis 76 ans. Reconnu à l’âge de trois ans comme la réincarnation de son prédécesseur, celui qui a fui en 1959 vers l’Inde pour échapper à l’oppression chinoise est devenu un leader internationalement reconnu, symbole de résistance culturelle, de bouddhisme éclairé et de paix. « Si un 15ème dalaï-lama venait et faisait honte à la fonction, l'institution du dalaï-lama serait ridiculisée », a-t-il ajouté. Comment sa réincarnation pourrait-elle ne pas être à la hauteur ? Pourquoi décider maintenant que l’institution a fait son temps ? Explications avec Philippe Cornu, spécialiste du bouddhisme tibétain et Président de l’Institut des études bouddhiques.


Que représente le dalaï-lama ?
Cette institution est assez récente dans l’histoire du Tibet, puisqu’elle n’a que 500 ans. Dalaï-lama veut dire « océan de sagesse » en mongol. C’est le troisième dalaï-lama qui a reçu en premier ce titre honorifique, conféré par un empereur mongol. Ses deux prédécesseurs en ont été gratifiés à titre posthume. Les monastères ont commencé à exercer le pouvoir au Tibet à partir du 11ème siècle, à la chute des premières dynasties. Différentes lignées se sont succédées, certaines soutenues par les seigneurs du Sud, d’autres par ceux du Centre. Au 17ème siècle, les mongols sont intervenus dans le pays pour le réunifier, et ont installé à sa tête le 5ème dalaï-lama, qui fut un grand souverain et un grand mystique. Depuis lors, le dalaï-lama est censé être le protecteur politique et spirituel des tibétains, mais tous n’ont pas vraiment régné. Le 6ème était un poète, le 7ème strictement religieux, les suivants sont morts très jeunes… L’institution a trouvé un nouveau souffle au début du 20ème siècle avec le 13ème dalaï-lama, qui a entrepris des réformes pour moderniser le pays, quitte à se heurter à l’opposition des réactionnaires. C’est lui qui a rompu les liens avec la Chine et proclamé le Tibet indépendant. Le 14ème dalaï-lama a hérité d’une situation difficile. Il a dû fuir devant l’invasion chinoise alors qu’il n’était qu’adolescent. Sa particularité est d’avoir réussi à réorganiser une communauté en exil, dispersée et démunie. Il a obtenu des dispensaires, remis l’éducation en route, œuvré à la sauvegarde de la culture tibétaine, modernisé au maximum. Il a aussi fait en sorte que les tibétains se dotent d’institutions politiques démocratiques, avec un parlement, des responsables élus. Depuis 2011, il a lui-même renoncé à ses fonctions politiques, pour n’être plus qu’un leader spirituel. Son apport est remarquable.

Pourquoi annoncer aujourd’hui la disparition de l’institution ?
Le dalaï-lama sait très bien que s’il dit qu’il va renaître, les chinois vont tout faire pour reconnaître eux-mêmes la nouvelle incarnation, l’introniser et en faire une marionnette – comme ils l’ont déjà fait avec la deuxième autorité du bouddhisme tibétain, le panchen-lama. En annonçant qu’il n’y aura plus de dalaï-lama, il leur coupe l’herbe sous le pied. Le gouvernement chinois doit être furieux !

Qu’est-ce que ça change, au niveau spirituel, pour le bouddhisme tibétain ?
Dans son statut, le dalaï-lama est le protecteur de toutes les religions du Tibet – bouddhisme, bön, islam ou autre. Il n’est pas un chef de lignée ; il est un peu au-dessus. Ainsi, bien qu’appartenant à l’école des Gelukpa, l’actuel dalaï-lama a reçu des enseignements de maîtres d’autres traditions. Sa force est d’avoir privilégié une approche non-sectaire. Le risque, à sa disparition, est que les lignées, qui ont chacune leurs grands leaders, entrent en compétition. Avec Tenzin Gyatso, elles ont eu la chance de bénéficier d’un être exceptionnel, doté d’un esprit éclairé et d’une énergie hors du commun, qui les représente et qui a obtenu la sympathie d’une grande majorité de gens. Par son autorité, il est parvenu à maintenir une forme d’unité. Cette vision ne lui survivra que si les autres cadres du bouddhisme sortent des logiques de chapelle. Chaque tradition a ses petits trésors, mais le bouddha n’appartient pas à une lignée, son enseignement n’appartient pas aux tibétains. S’ils étaient capables de s’ouvrir et de communiquer davantage entre eux, ils seraient mieux à même de transmettre au monde.

L’annonce du dalaï-lama signifie-t-elle qu’il ne compte pas se réincarner ?
Pour les tibétains, le dalaï-lama est l’émanation d’Avalokiteshvara, le grand boddhisatva de la compassion. Les boddhisatvas, dans le bouddhisme, sont des êtres éveillés qui ont fait le vœu de ne pas abandonner les êtres. Le dalaï-lama incarne le principe de compassion universelle. Ce n’est pas parce que l’institution va disparaître qu’il n’y aura plus sur Terre de manifestation de ce principe. Les boddhisatvas, de réincarnation en réincarnation, renouvellent constamment leur vœu altruiste. A leur mort, ils ont la capacité de maîtriser leur essence subtile et de produire un nouveau corps, uniquement pour le bien des êtres.

Comment la réincarnation du dalaï-lama pourrait-elle ne pas être à la hauteur ?
Ce propos est probablement une boutade à l’intention du gouvernement chinois : si le nouveau dalaï-lama est nommé par eux, il fera honte à la fonction ! Plus globalement, il faut bien avoir en tête que la réincarnation n’est pas le retour d’une âme immuable. Pour le bouddhisme, il n’y a pas de « soi » éternel, substantiel. Nous ne sommes jamais identiques à nous-mêmes : notre corps, nos pensées, nos émotions évoluent en permanence. L’individualité est une pure convention, un amalgame de phénomènes. Ce qui renaît, c’est un flux de conscience, qui produit ses propres conditionnements et ses propres scénarios d’existence, tant qu’il n’a pas atteint l’éveil. Chez les êtres ordinaires, le cycle des renaissances est compulsif, inconscient, guidé par les forces karmiques. Les êtres réalisés, eux, savent reconnaître leur nature fondamentale et s’y relier. Au moment de leur mort, ils peuvent maîtriser le processus, de façon à choisir leur renaissance. Leur principe essentiel est là, mais leur personnalité peut varier.

Peut-on imaginer la manifestation de ces principes hors du Tibet et des lignées bouddhistes traditionnelles ?
C’est une possibilité ! Ce pourrait être le signe d’une mutation nécessaire. Le bouddhisme a des choses à apporter au monde, mais cela passe aussi par une réflexion sur son adaptation – ce qui ne veut pas dire l’inféoder à des valeurs occidentales. Qu’ils apparaissent en Orient ou en Occident, les nouveaux tulkus – réincarnations de grands sages – sont actuellement pris entre deux mondes. D’un côté, le système monastique et éducatif tibétain à l’ancienne pose des problèmes. De l’autre, notre société a urgemment besoin de retrouver des repères éthiques. Il est temps que les spiritualités s’unissent pour faire entendre la voix d’une sagesse. Certains tulkus ont une vision claire de leur rôle, d’autres moins.

Source inress.com

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