La grâce dans vos assiettes...
Triste
mort pour les chevaux de course. Au lieu de finir leur vie tranquillement, ils
se retrouvent bien souvent dans nos assiettes. Certains propriétaires français
voulaient une retraite faite de batifolage dans les prés et de foin généreux
pour leur fidèle destrier. Ils se sont fait avoir par des maquignons peu
scrupuleux qui ont racheté leurs bêtes pour, au final, les amener à l’abattoir, où elles n’auraient jamais dû se retrouver, ne serait-ce que pour des raisons
sanitaires.
.... Mais leur carnet de santé a été
bidouillé en Belgique. Voilà le nouvel imbroglio qui secoue le monde équestre.
Il ne s’agit plus tant d’un problème d’étiquetage de la viande consommée, comme
cela s’est produit l’hiver dernier, que d’un trafic de chevaux écoulés
frauduleusement dans l’alimentation humaine. Le scandale a éclaté jeudi 30 août
et une enquête est en cours.
Cette nouvelle affaire pose une fois de plus la question de
la traçabilité de la viande que nous mangeons. Pour un cheval, la chose est
normalement assez simple, du moins jusqu’à l’abattoir.
La puce à l’oreille, ou à l’encolure
Tout poulain, à sa naissance, reçoit la visite d’un
vétérinaire habilité ou d’un agent des haras nationaux qui lui glisse une puce
sous la peau, au niveau de l’encolure ou à l’oreille. C’est en tout cas le cas
pour les chevaux de trait d’emblée destinés à la boucherie. Cette puce contient
un numéro, qui identifie l’animal auprès du SIRE, le système d’information
relatif aux équidés. Ce système détaille, pour chaque cheval, le pedigree, les
performances, les données techniques, le nom du naisseur - soit l’éleveur
s’occupant particulièrement du choix des reproducteurs. Un document papier,
sorte de livret à la fois d’identité et de santé gardé par le propriétaire,
complète le tout. C’est, dans l’affaire qui nous occupe, lui qui aurait été
falsifié.
Mais ce n’est pas tout. Depuis 2001, la réglementation
européenne impose la présentation d’un feuillet médicamenteux pour les chevaux
présentés à l’abattoir. Sur ce document sont consignés, par le vétérinaire qui
y appose sa signature, la date et son cachet, tous les médicaments ingérés par
l’animal. Depuis douze ans, le feuillet est automatiquement inséré dans le
livret d’identification du cheval « avec des agrafes spéciales censées empêcher
qu’on ne remplace le feuillet », explique Claire Scicluna, responsable de la
commission médicaments à l’association vétérinaire équine française (AVEF).
Pour les chevaux nés avant 2001, ce qui semble être le cas
dans l’affaire qui vient d’éclater, « le système est moins sécurisé puisque le
feuillet est à ajouter au livret », reconnaît la vétérinaire qui exerce dans
l’Oise. Et les feuilles volantes, parfois, s’envolent...
Médicaments et principe de précaution
Le but de ce document est d’indiquer les périodes d’attente
à respecter après la prise d’un médicament avant que l’animal ne soit amené à
l’abattoir. Mais la prise, même unique, de certains médicaments est censée
éviter définitivement aux chevaux de finir en steak. C’est le cas de la
phénylbutazone, l’aspirine des chevaux, que les cavaliers administrent à leur
monture en cas de fourbure. Et que les humains pouvaient prendre eux aussi, à
moindre dose, jusqu’en 2012. Une simple prise de ce médicament implique de
cocher la case « exclus de la filière bouchère ».
C’est une application du principe de précaution, en
l’absence de connaissances des taux de résidus médicamenteux dans la viande.
Or, il semblerait que le réseau soupçonné d’avoir falsifié les livrets ait
justement effacé la mention de prise de phénylbutazone du feuillet
médicamenteux, menant ainsi tout droit les bêtes à l’abattoir (plus précisément
dans trois d’entre eux situés dans le Gard, l’Héraut et le Nord).
Abattre est plus rentable que laisser mourir
Car revendre une bête pour sa viande est plus rémunérateur
que la laisser gambader dans un pré et la nourrir jusqu’à sa mort, comme
l’indiquait en mars 2013 l’AFEV dans un communiqué : « En Europe tout comme aux
Etats-Unis, se pose le problème de la fin de vie des équidés, laquelle
représente une lourde charge financière pour les propriétaires. La récession
économique et l’envolée du prix de l’équarrissage consécutive à la
libéralisation de ce marché ont fait apparaitre des pratiques clandestines
d’enfouissement ainsi qu’un circuit européen de récupération des chevaux indésirables,
n’offrant pas toutes les garanties de traçabilité, vers la filière bouchère. »
Des champions dans les assiettes
Mais quand même, pourquoi les vétérinaires des abattoirs
n’ont-ils pas tiqué en voyant arriver ces bêtes musculeuses, taillées pour les
champs de course ? Parce que c’est le destin le plus commun des champions. « Si
les chevaux de course ne pouvaient pas aller à la boucherie, on ne saurait plus
où les mettre ! », explique Claire Scicluna. La réglementation française classe
les chevaux parmi les animaux de rente, et non de loisir, signifiant par là que
tout dada est a priori destiné à être mangé, qu’il ait gagné des grands prix ou
non. Sauf si son propriétaire a volontairement coché la case « exclu de la
filière bouchère », ou si le vétérinaire l’a fait pour des raisons sanitaires.
Normalement, le système est donc correctement balisé.
Surtout pour les chevaux nés après 2001. Une nouvelle protection a même été
ajoutée en 2011. Depuis cette date, et à la demande de l’AVEF, la case « exclu
de la filière bouchère » est par défaut cochée sur le duplicata du livret
d’identification délivrés lors d’un changement de propriétaire – en cas de
perte du livret par le premier propriétaire. « Avant cette mesure, les livrets
disparaissaient souvent lors du changement de propriétaire et, sur les
duplicata, les feuillets médicamenteux arrivaient comme par hasard vierges de
toute mention, et les chevaux pouvaient aller à l’abattoir », se remémore
Claire Scicluna qui estime qu’aujourd’hui « le système français est le meilleur
en Europe ». L’Europe, justement. La Commission européenne s’est engagée en mai
dernier à mettre en place un fichier d’identification unique et centralisé des
équidés dans l’Union européenne. Ce qui n’est pas encore fait, et qui ne sera
véritablement efficace que si le carnet de santé des chevaux est lui aussi mis
en ligne.
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