Pourquoi les militaires se désintéressent-ils de plus en plus des ovnis ?
Après d’autres pays, c’est l’armée britannique qui a
officiellement renoncé à une étude du phénomène ovni. Officiellement: aucune
menace pour la Défense nationale. Scientifiques et passionnés continuent leurs
propres enquêtes, amenant régulièrement des militaires à se poser des questions
sur de curieuses observations...
J'en suis persuadé, ils ne lâchent que ce qui les arrangent.»
«Je ne suis pas étonné, ils nous mentent déjà sur beaucoup de choses.» «Nos
élites nous prennent pour des truffes!» «La moitié des moutons qui constituent
notre population vont gober ça!»
Désinformation. Complot organisé entre gouvernants,
militaires et médias. Ce sont quelques-uns des propos qui ont faite suite à la
diffusion fin juin des dernières archives du bureau ovni du Département de la
Défense britannique. Définitivement fermé en novembre 2009, ce service était
baptisé «X-files britanniques». En réalité, il se composait d’un unique
officier, chargé de répondre à la ligne rouge spéciale objets volants non
identifiés pour prendre en note les témoignages des uns et des autres. Un
placard au sein duquel des militaires en fin de carrière se retrouvaient noyés
sous des tonnes de paperasse.
Londres tourne la page des ovnis en diffusant les raisons de
cette décision ainsi que les derniers 209 dossiers ouverts. 52.000 pages de
démarches administratives et de témoignages qui n’ont jamais donné lieu à de
vraies enquêtes. Le dernier secret des X-files britanniques, c’est qu’il n’y a
pas de secret. Simplement une explosion d’appels sur la ligne consacrée: de 208
en 2008, ils sont passés à 643 en 2009.
Plus que les extraterrestres, ce sont les tabloïds et les
biais de la perception sensorielle qui sont à l’origine de cette vague d’ovnis.
Une anecdote qui donne un bon exemple de ce que devait noter l’officier
«Mulder» de Londres: fin juin 2008, The Sun rapporte qu’un soldat a vu des
ovnis dans le Shropshire et diffuse ses photos. Une série de lumières
incandescentes qui se déplace au-dessus des baraquements du 1er Régiment royal
irlandais. Après enquête, on apprendra que les vaisseaux ne sont en réalité que
des lanternes chinoises larguées quelques kilomètres plus loin au cours d’un
mariage. La hiérarchie militaire interdit pourtant au soldat de faire une
contre-déclaration, de peur de faire passer l’institution pour plus loufoque
qu’elle n’est...
«Les militaires ne sont pas toujours les gens les plus
réalistes, remarque David Clarke: en 1944, le maréchal qui dirigeait la
bataille d’Angleterre croyait aux fées!»
Ce journaliste et sociologue, qui travaille depuis de
nombreuses années sur le phénomène ovni, est à l’origine de la diffusion des
archives de l’armée sur le sujet. Une manière pour lui de démontrer s'il y a,
ou non, des secrets. Et pour lui, le bilan est clair et la fermeture de ce
bureau est une évidence:
«Le travail de cet officier, c’était tout simplement de
répondre aux gens avec une politesse toute britannique...»
Quant à l’idée de données plus secrètes, la question
l’amuse:
«Entre WikiLeaks et les révélations de Snowden, j’ai le
sentiment que les gouvernements ont de plus en plus de mal à éviter les fuites...
et pourtant, rien sur les ovnis!»
Les ovnis ne sont plus une menace pour la Défense...
Ce que l’on apprend, en réalité, avec la diffusion de ces
dernières archives, ce sont les raisons qui ont poussé la Défense à fermer ce
bureau. Officiellement, le ministère a sobrement déclaré que «ce dispositif
n’était pas utile aux services de la Défense, et suscitait de trop nombreux
échanges de courriers qui ne relevaient pas de l’activité ministérielle». Une
référence aux innombrables demandes, au nom d’une loi sur le droit à
l’information, qui permettait aux ufologues britanniques de réclamer en
permanence des pans entiers des archives militaires sur ces sujets. Plus
officieusement, l’incident du 1er Régiment royal irlandais a créé un
électrochoc: tandis que l’ovni faisait la une du Sun, la photo d’un soldat tué
en Afghanistan était reléguée dans un tout petit coin de page.
Pour les militaires, c’est donc clair:
«Aucun témoignage adressé au MoD n’a laissé penser à une
menace sur le Royaume-Uni.»
«Ils voulaient le faire depuis longtemps», confirme de son
côté David Clarke.
En France, l’armée évite le sujet depuis longtemps, faute
d’avoir du temps et de l’énergie à dépenser. La dernière initiative date de
1999. Elle n’est pas le fruit de l’institution elle-même, mais d’un groupe
d’anciens auditeurs de l’Institut des hautes études pour la Défense nationale
(IHEDN), un organisme de réflexion et d’influence sous tutelle de Matignon.
Un groupe de passionnés, d’anciens spécialistes de
l’aéronautique et des officiers de l’armée de l’air, rédigent et publient un
rapport sur la menace extraterrestre: le rapport Cometa. Remis en main propre à
Lionel Jospin, Premier ministre à l’époque, il recommande de se pencher très
sérieusement sur cette question, estimant que les témoignages prouvent que des
objets mus par une forme d’intelligence avaient approché des aéronefs partout
dans le monde. Il s’appuie sur de nombreux exemples, en France, mais aussi au
Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Russie et même en Iran.
Le général Denis Letty, aujourd’hui à la retraite, a dirigé
cette étude. Il assure qu’à l’époque, toutes les instances en charge ont pris
ce document très au sérieux... même si d’autres membres de l’IHEDN auraient
pris les membres de Cometa pour des farfelus. Lionel Jospin aurait d’ailleurs
annoté le rapport de sa main. Depuis, il fait office de référence:
«Plus personne ne rigole, remarque le général Letty. Dans
l’opinion, l’éventualité de l’existence des extraterrestres est admise.»
De discussion en conférence, les conclusions des membres de
Cometa sèment le doute, y compris au sein de l’armée. Lui-même a longtemps été
sceptique, avant que plusieurs pilotes, au cours de sa carrière, ne témoignent
d’expériences déconcertantes.
En France, c’est pourtant le Groupe d'études et
d'information sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan), qui mène
les études les plus approfondies sur la question des ovnis. A partir de
dépositions récoltées par la gendarmerie, il enquête pour comprendre ce qui est
observé. Son directeur, Xavier Passot, se montre sceptique:
«Nous ne cautionnons pas les conclusions du rapport Cometa.
On ne considère pas l’existence d’extraterrestres comme une hypothèse
privilégiée. (...) Nous sommes submergés de témoignages de gens qui n’ont en
réalité vu que des lanternes chinoises! (...) L’armée ne nous contacte pas sur
ce sujet, mais nous avons des appels de pilotes civils. Notre travail est
d’essayer de comprendre et d’expliquer. (...) Les militaires qui s’intéressent
à ces questions abandonnent les uns après les autres.»
Xavier Pasco, comme les autres personnes travaillant sur les
questions d’ovnis, admet pourtant ne pas pouvoir expliquer certains phénomènes.
22% des cas signalés restent sans explications. Les différents projets
militaires américains arrivaient d’ailleurs aux mêmes résultats, entre 15% et
38% de dossiers sans réponses, selon les époques. Jusqu’à ce que ces
différentes études de l’armée ne soient officiellement fermées dans les années
1970.
...Et les ovnis non
plus, ne s’intéressent plus aux militaires.
Jean-Jacques Velasco, lui, reste convaincu que des éléments
intelligents ont été observés. Cet ancien du Centre national d’études spatiales
(CNES), consulté pour l’écriture du rapport Cometa, remarque que 170 cas
d’ovnis ont été retenus comme concrets. Chaque fois, des observations ont été
réalisées par au moins un témoin qualifié et confirmées par des identifications
radar. Preuve de leur intelligence:
«Ils n’ont pas le même comportement face à des appareils
civils ou militaires!»
Selon lui, 3% de ces rencontres auraient mené à des combats
aériens, entraînant la perte d’aéronefs... des deux côtés.
Toujours est-il qu’il n’y a plus d’observations de ce type
depuis une vingtaine d’années. Si les sceptiques assimilent les observations
sur les ovnis aux fantasmes liés à la Guerre froide, Jean-Jacques Velasco fait
aussi le lien avec l’arme nucléaire.
«La plupart des observations sérieuses ont été faites à
proximité de sites stratégiques.»
Pour lui, la présence d’ovnis a cessé avec l’arrêt des
essais nucléaires dans l’atmosphère.
Malgré la multitude de documents publiés par les différents
gouvernements, peu d’éléments concrets semblent émerger. Les Américains ont
bien leur lot de rapports faisant référence à des crashs d’appareils non
identifiés. Difficile pourtant d’en savoir plus. Jean-Jacques Velasco, lui, est
convaincu que les militaires ont pris conscience de leur vulnérabilité face à
un tel phénomène et qu’ils ont préféré le taire, plutôt que d’admettre une
faiblesse devant la population qu’ils sont sensés protéger.
Si les armées de la plupart des pays renoncent à poursuivre
des observations sur ces phénomènes, passionnés et parfois scientifiques
continuent leurs recherches. Xavier Passot s’amuse d’ailleurs de voir que son
poste à la tête du Geipan fait envie à plusieurs de ses confrères. «Ils se font
peut-être des idées, tempère-t-il. Au quotidien, c’est un boulot laborieux!»
Romain Mielcarek slate.fr
Commentaires