Le système de production de viande imite le marché mondial de l’industrie manufacturière.


Le coût de la viande bon marché
Le scandale déclenché par la viande de cheval récemment retrouvée en lieu et place de bœuf dans les plats cuisinés de certaines grandes marques a révélé les failles du complexe agro-alimentaire international. Confronté à une forte augmentation de la demande liée à la consommation croissante des pays émergents, le système de production de viande imite de plus en plus le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement mondial de l’industrie manufacturière.

par Agnès Stienne, Le Monde Diplomatique avril 2013
A chaque scandale alimentaire, le même scénario se répète. Les politiques grognent, les industriels beuglent, la grande distribution bêle, et tous reprennent de concert : transparence ! traçabilité ! étiquetage ! Des mesures annoncées haut et fort, et tant de fois répétées… pour mieux persévérer. Si l’on veut comprendre pourquoi, il faut élargir la focale et passer de l’étiquette des lasagnes fourrées au « bœuf » à la carte du monde, où s’entrecroisent les fils d’un système agricole en pleine recomposition.


Un système dévolu à la poursuite d’un unique objectif : produire à grande échelle pour l’exportation, en créant des pôles de spécialisation afin de dégager plus de profit. Les pays d’Europe occidentale importent de la viande bovine et porcine qu’ils consomment ou exportent vers le reste du continent. Avec le développement économique des pays émergents, la demande de viande a augmenté et, avec elle, le besoin de terres agricoles pour nourrir le bétail.


Sept kilos de céréales pour un kilo de bœuf

En Chine, par exemple, la consommation annuelle de viande par habitant a crû de 55 % en dix ans (1). Pour nourrir les poulets de ses usines, le pays importe des tonnes de soja cultivé en Amérique latine — dont c’est la mission principale en la matière — et cherche depuis peu à acquérir des terres en Afrique pour y produire de la nourriture humaine et animale (land grabbing). Des matières premières achetées sur un continent, revendues sur un deuxième, puis réexportées vers un troisième : l’industrie agricole ne semble guère se distinguer des chaînes d’approvisionnement mondial de l’industrie manufacturière…
Depuis plusieurs décennies, l’agrobusiness s’obstine ainsi sur une voie qui a mené à la ruine de la petite paysannerie, de la biodiversité, des sols, de l’eau, de la santé des agriculteurs et parfois des consommateurs, sans pour autant parvenir à nourrir la planète : un milliard de personnes ne mangeaient pas à leur faim en 2011. L’industrie de la viande, qui fait depuis quelques semaines l’objet de vives critiques, cristallise l’ensemble de ces problèmes. A l’origine de 18 % des émissions de gaz à effet de serre, alors qu’elle représente moins de 2 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, elle s’avère particulièrement vorace en ressources naturelles, en terres et en produits agricoles. Faut-il produire des céréales pour nourrir les humains ou pour engraisser les bœufs ? La question se pose d’autant plus que le rendement de la production de viande est déséquilibré par rapport à celui des céréales : il faut au moins sept kilos de céréales pour fournir un seul kilo de bœuf, quatre pour un kilo de porc, deux pour un kilo de poulet.
Les pâturages recouvrent 68 % des terres agricoles (dont 25 % sont dégradées), tandis que le fourrage occupe, lui, 35 % des terres arables. Au total, 78 % des terres agricoles sont consacrées au bétail. Ce grignotage continu des terres au profit de la production de viande de moindre qualité — et d’agrocarburants — se répercute directement sur les conditions de vie des populations les plus pauvres. En 2006, dans son rapport annuel, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) avertissait : « La production et les importations d’aliments pour le bétail sont en hausse. Les importations totales de produits alimentaires pour animaux ont rapidement augmenté et font craindre que la croissance du secteur de l’élevage en Chine ne se traduise par une flambée des prix et par des pénuries mondiales de céréales. » On connaît la suite : l’année 2008 fut marquée par des émeutes de la faim en Côte d’Ivoire, au Cameroun, en Indonésie, aux Philippines, etc., provoquées par une hausse sans précédent du prix des matières premières agricoles sur le marché international.
Tandis que la planète subissait les premiers soubresauts de la crise financière, ces tragédies auraient dû inciter les dirigeants politiques à interdire la spéculation sur les produits de première nécessité. Il n’en fut rien. Malgré la baisse des coûts réels de production des céréales, les prix de vente ne cessent d’augmenter (2). La Banque mondiale signalait d’ailleurs en février 2011 que « les prix alimentaires mondiaux sont en train d’atteindre des niveaux dangereux, et constituent une menace pour des dizaines de millions de pauvres à travers le monde. Cette hausse est déjà en train de faire basculer des millions de personnes dans la pauvreté et d’exercer des pressions sur les plus vulnérables, qui consacrent plus de la moitié de leurs revenus à l’alimentation » (3).

Une agriculture mâtinée de pétrochimie

Le pâturage est de loin la forme la plus répandue de l’élevage bovin. Si le paisible troupeau de vaches noires à taches blanches ruminant à l’ombre des pommiers à cidre que l’on aperçoit sur les routes de la campagne bretonne ne pose pas de problème, les dégâts écologiques s’intensifient à mesure que la densité des troupeaux en pâture s’accroît. Et c’est en Amérique du Sud que, ces dernières années, les bouleversements ont été les plus violents. Le surpâturage y règne et laisse derrière lui des terres stériles et saturées de déjections animales.
Pour acquérir de nouvelles terres, les producteurs n’hésitent pas à recourir à la déforestation illégale, en particulier au Brésil. Premier producteur et exportateur mondial de viande bovine et de cuir, ce pays représente à lui seul 30 % du marché mondial ; il exporte principalement vers la Russie et l’Union européenne. Une enquête menée par Greenpeace et publiée en 2009 montre que le cheptel brésilien — pas moins de 200 millions de têtes — est responsable de 80 % de la déforestation de l’Amazonie (4). Cela représente dix millions d’hectares de forêt partis en fumée en dix ans. Au grand dam des petits agriculteurs et des peuples autochtones, qui ont subi et subissent encore l’essor de ces grosses machines à produire. Depuis plus de quatre décennies, l’organisation non gouvernementale (ONG) Survival ne cesse de dénoncer le massacre par les éleveurs des Indiens vivant dans la forêt brésilienne (5).
Le saccage de la forêt amazonienne sert deux objectifs principaux : la production d’agrocarburants et celle d’aliments concentrés pour le bétail. Selon le mouvement paysan Via Campesina, « la monoculture de soja occupe désormais un quart de toutes les terres agricoles du Paraguay, et ces terres se sont étendues au rythme de 320 000 hectares par an au Brésil depuis 1995. En Argentine, pays où il occupait déjà la moitié des terres agricoles, 5,6 millions d’hectares de terres non agricoles ont été convertis entre 1996 et 2006 pour produire du soja. Les effets dévastateurs de ces exploitations sur la population et sur l’environnement en Amérique latine sont bien documentés et reconnus par de multiples acteurs » (6).
Cultivés selon des procédés ayant recours à la pétrochimie, céréales et oléagineux traversent l’Atlantique, puis sont transvasés dans des silos qui appartiennent à de grosses entreprises, en attendant d’être transformés en aliments concentrés. Les millions de porcs et de poulets qui croupissent dans des hangars de béton sombres et puants en ont dévoré 1 250 millions de tonnes en 2005.
Ces véritables usines à viande approvisionnent les usines de transformation et les supermarchés à travers le monde. On cherche à minimiser les coûts en « rationalisant » toute la chaîne, de la production à la distribution, abattage et transformation inclus : réduction de la main-d’œuvre, automatisation et programmation des tâches, standardisation des produits, recyclage des bas morceaux en « minerai » — selon le terme utilisé par les professionnels du secteur — pour les plats cuisinés bon marché. Tout un manège mis en place pour répondre aux exigences de l’agrobusiness et de la grande distribution.

Le concept d’animal n’a plus cours

Le concept même d’animal n’a plus cours : on fabrique des saucisses comme on assemble des voitures, à partir de matières premières. Mais une « matière première » vivante et souvent souffrante. De fait, ces animaux, purs résultats de la recherche agronomique, ne sont pas tout à fait ordinaires. Sélection après sélection, ils sont « élaborés » de telle sorte que le développement de leur masse musculaire soit accéléré et leurs performances reproductrices dopées. En contrepartie, les organes vitaux sont réduits au strict minimum et ne sont plus à même de remplir leurs fonctions. Les animaux sont si fragilisés qu’ils sont devenus hypersensibles aux maladies. Afin d’y remédier, les bâtiments dans lesquels on les engraisse sont chauffés, mais cela ne suffit souvent pas à éviter les infections, d’où le recours fréquent aux antibiotiques.
Ce type d’exploitation engendre également des problèmes environnementaux liés à la formation du lisier et à son élimination : le sulfureux cocktail d’azote et de phosphore se dissémine par épandage sur des terres saturées qui ne peuvent plus l’absorber. En Bretagne, notamment, la pollution des eaux de source par les cyanobactéries et du littoral par les algues vertes, toutes deux dues à l’industrie porcine, sont aujourd’hui endémiques.

Nourrir la planète sans la dévaster

Traditionnellement, on pratiquait l’élevage en fonction de la nourriture disponible sur place. Les pâturages faisaient l’objet d’une attention particulière pour protéger la régénération de la prairie du piétinement des ruminants et empêcher la concentration des déjections, qui affecte la qualité des sols et de l’eau. Un élevage fermier était conduit en symbiose avec la culture céréalière et maraîchère : les résidus de récoltes enrichis de pois, de lupins et de féveroles constituaient un fourrage sain et équilibré ; la paille fournissait la litière des animaux ; le fumier obtenu fertilisait les sols. La boucle était bouclée.




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