Annick Cojean : Les Proies


lu sur Le blog de Tobie Nathan

Kadhafi, le guide libyen, gouvernait par le sexe — plus précisément par le viol. On savait le dictateur pour le moins dérangé. Son apparence de toxicomane, ses déclarations de psychopathe, contre les occidentaux, contre tel ou tel chef d’Etat, son implication dans les attentats terroristes, dans les mauvaises guerres et les massacres, au Mali, au Tchad, en Guinée, au Congo, au Liberia, en Centrafrique… ça se voyait ! Comme le nez au milieu de la figure… Mais une folie sexuelle en liberté à l’échelle d’une nation et même à celle d’un continent, on reste éberlué.


Où l’on apprend qu’il fallait à Kadhafi quatre nouvelles jeunes filles par jour, à peine pubères, vierges évidemment. Il envoyait ses sbires les chercher dans les écoles, par dizaines, par centaines, sans doute plus encore. Il les enfermait, les préparait, par la violence, jusqu’à ce qu’elles se soumettent à ses désirs — à tous ses désirs. Il les contraignait à porter des vêtements sex, des strings, des nuisettes de soie, à visionner des cassettes porno, à danser devant lui ; il les droguait, aussi, au haschich, à la cocaïne. Quant à l’acte sexuel, ce n’était que violence. Il les battait, les humiliait, les violait, urinait sur leur corps endolori.

Annick Cojean
On pourrait croire que ce n’était là que le comportement d’un pervers dont les fantasmes avaient trouvé un débouché dans le réel grâce à l’argent qui coulait à flots et au pouvoir qu’il exerçait sans contrôle. Mais il y a bien plus que cela ! Les viols quotidiens de Kadhafi durant des décennies avaient pour but de terroriser la population. Le peuple savait plus ou moins ce qui se passait à Bab-al-Azizia, le QG du guide… Alors, de peur des représailles, des familles, des tribus entières ont fui le pays.
Les viols quotidiens de Khadafi n’étaient pas seulement l’expression des fantaisies perverses d’un homme ; ils étaient devenus un mode d’installation de la terreur et par conséquent de pérennisation du pouvoir. Car le l’un des processus essentiels qui permettent aux dictatures de perdurer des décennies est l’établissement des complicités. Les matrones, celles qui préparaient les filles, devenaient complices, les filles violées, si elles parvenaient à survivre, finissaient par devenir complices à leur tour. Le système entier se faisait complice par la distribution de privilèges, petits et grands, aux uns ou aux autres. Le second mécanisme est l’humiliation qui tient les victimes et leurs familles par la honte, les empêchant de révéler les secrets gens, les rendant complices à leur tour.
Kadhafi a peut-être été le premier à ériger le viol en mode de gouvernement — un gouvernement par la terreur, bien sûr ! Il violait les jeunes filles, mais aussi des jeunes gens et même ses propres ministres. Lorsque l’insurrection a commencé à prendre en Libye, le mot d’ordre du « guide » à ses partisans était : « Violez-les d’abord, violez les toutes, les jeunes, les vieilles, les fillettes, … Ensuite, tuez-les. » De Dubaï arrivaient des containers entiers pleins de Viagra… Les rebelles recevaient des vidéos de viol sur leurs portables avec la menace explicite : « Voilà ce qui attend vos femmes et vos filles »…
Kadhafi a fait des émules. J’étais à Conakry le 28 septembre 2009 lorsque les « bérets rouges » de Moussa Dadis Camara ont enfermé les manifestants dans le stade, puis ont ouvert le feu sur la foule. Ils ont ensuite systématiquement violé les femmes présentes. Là aussi, un mot d’ordre semble avoir été explicitement donné puisqu’elles ont été systématiquement violées… Il y a eu ce jour là près de 200 morts, 2000 blessés et plus de 150 femmes violées. Là aussi, le Viagra avait été distribué aux soudards, en plus de l’alcool. Jusqu’à ce jour, les responsables n’ont pas été jugés ; n’ont même pas été inquiétés…
Certains lecteurs attentifs du livre ont mis en cause la fiabilité des témoignages des victimes, comme par exemple Luc Rosenzweig, dans un article du causeur (http://www.causeur.fr/le-monde-et-l’esclave-sexuelle-de-kadhafi,13255)
Quoiqu’il en soit, l’analyse du système reste entière. À suivre…


Prix des lecteurs du Télégramme. "Les proies", d'Annick Cojean


Grand reporter au "Monde" et présidente du prix Albert-Londres, Annick Cojean est retournée en Libye enquêter sur l'histoire de Soraya, une jeune fille enlevée à l'âge de 15 ans, violée et séquestrée par Kadhafi. Son livre «Les proies» révèle les coulisses d'une dictature et l'existence d'un système basé sur l'esclavage sexuel qui a bénéficié de nombreuses complicités.
Quel a été le point de départ de ce livre ? 


Lors du Printemps arabe, en Tunisie, les femmes étaient combatives, ardentes. En Égypte aussi. Elles s'exprimaient dans les journaux, manifestaient. En Libye, sur les femmes, je ne voyais rien, comme si c'était une planète d'hommes. J'ai demandé à couvrir le sujet et, sur place, j'ai pu me rendre compte que les femmes étaient présentes. La première manifestation était une manifestation de femmes. Elles avaient encouragé leurs fils, leur mari à la révolte. Elles me disaient qu'elles avaient un compte à régler avec Kadhafi. Je ne comprenais pas très bien. Ces femmes prenaient, en plus, le risque d'être violées. Les mercenaires deKadhafi avaient du "Viagra" et ordre de violer quand ils arrivaient dans une ville.


Le témoignage de Soraya est bouleversant. Il lui a fallu beaucoup de courage pour oser parler ?Je découvrais tout cela et en même temps, je n'arrivais pas à obtenir un témoignage. Un peu par hasard, dans un hôpital de guerre, alors que j'exprimais mon désarroi, on m'a parlé de cette jeune fille de 22 ans. Il fallait qu'elle raconte. C'était deux-trois jours après la mort de Kadhafi, elle avait vu les images à la télé et en même temps, elle qui avait été kidnappée à l'école, violée, obligée à se droguer, s'était dit qu'un jour, il serait jugé. Elle venait de se rendre compte qu'il n'aurait jamais à s'expliquer devant elle ou devant une cour et elle trouvait cela épouvantable. Elle réalisait aussi qu'il fallait qu'elle se taise et se cache. Sa vie était en danger car ses frères voulaient la tuer. Elle savait trop de choses et risquait d'être supprimée par les anciens Kadhafistes mais aussi les révolutionnaires qui pouvaient penser qu'elle faisait partie de la clique du tyran. Soraya a beaucoup de courage. Elle n'a pas pris les armes pendant la révolution mais là, elle les prend.


Dans un pays où le sexe est tabou, vous avez été confrontée à cette loi du silence ? 
J'ai publié ce témoignage dans Le Monde et il a eu un bel écho. Puis j'ai décidé de revenir pour en savoir plus, pour l'Histoire, pour la cour pénale internationale. La première fois, en octobre 2011, j'étais persuadée que d'autres femmes allaient parler. Un an et demi après, il n'y a toujours pas le moindre témoignage. Cela peut s'expliquer par la force du tabou. En Libye, c'est véritablement une question de vie ou de mort. Le silence a été le meilleur allié de Kadhafi pendant 42 ans.




Comment expliquer que tout le monde savait, y compris certains dirigeants occidentaux, et que personne n'ait rien dit ?
En Libye, les gens se doutaient qu'il y avait un danger mais ne connaissaient pas l'ampleur du trafic. Il y avait des complicités dans les ambassades, dans les services diplomatiques mais impossible d'en parler. Pareil en Occident, les services secrets, de chancellerie connaissaient les moeurs de Kadhafi. Beaucoup se doutaient que ses relations avec les «Amazones» n'étaient pas tout à fait normales. Je nous accuse un peu tous, ceux qui avaient des liens avec la Libye et je me rends compte que les journalistes n'ont pas voulu beaucoup investiguer là-dessus.

Kadhafi avait fait du viol un instrument de pouvoir et de terreur ? 
À ce niveau, c'était un système pour gouverner et pas seulement pour assouvir ses pulsions sexuelles. Il utilisait le sexe comme moyen de pression sur les ministres, voire les gouvernements étrangers. Il passait par les femmes et les filles. Je n'ai pas fait un livre sur la vie sexuelle de Kadhafi mais sur l'utilisation du sexe comme arme de guerre et de pouvoir. Les femmes sont toujours les premières victimes et on considère que leurs souffrances ne sont pas dignes d'intérêt. Cela se fait aussi en Syrie, au Congo et auparavant, en Bosnie.

Quelle suite espérer à cette enquête ? 
Je viens de participer à une conférence de l'Unesco avec des personnes issues de tout le monde arabe. Le livre m'échappe complètement et c'est assez bouleversant de constater que ce petit filet de voix d'une jeune femme devient un grand écho dans le monde. « Les proies » a été traduit dans une quinzaine de langues, est sorti en version arabe. 5.000 exemplaires ont été écoulés en trois jours. Les femmes libyennes s'en saisissent et en font un instrument de combat pour exiger des lois, pour qu'on punisse plus sévèrement les viols.
  • Propos recueillis par Delphine Tanguy

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