Je veux faire l'amour


A Mesdames et Messieurs les membres du Comité consultatif national d’éthique,
 
Suite à l’annonce concernant votre décision de refuser des assistants sexuels pour personnes handicapées (1), je suis profondément triste et surtout révoltée par votre décision. Aujourd’hui, je voudrais prendre la parole pour dire mon indignation face à votre refus. Je suis une femme âgée de 41 ans et je suis handicapée motrice. Je ne peux bouger ni les bras ni les jambes et je suis en fauteuil roulant. Par conséquent, je suis totalement dépendante d’une tierce personne. Je possède cependant toutes mes facultés intellectuelles.

Depuis de très nombreuses années, je me bats au quotidien pour que ma vie ressemble un tant soit peu à celle de Monsieur et Madame Tout-le-Monde, prenant bien évidemment en compte les nombreux obstacles qui se présentent à moi. Comme tout être humain, j’ai des désirs intellectuels mais aussi des désirs physiques et c’est là que cela se complique pour moi.
Même avec la plus grande volonté du monde, je ne peux donner satisfaction à mon corps qui se tord de douleur chaque jour tant sa demande est forte. Il ne cesse de me réclamer de la tendresse, des caresses, des baisers ou tout simplement d’être allongée contre un autre et de sentir sa chaleur. Est-ce trop demander ? Pourquoi, alors que dans d’autres pays où la mise en place d’assistants sexuels fonctionne à merveille et sans aucune dérive, contrairement à vos craintes, ne voit-elle pas le jour en France en 2013 ?
De tout temps, la prostitution a existé, dans notre pays comme ailleurs. Dans le cas concret des assistants sexuels, il me semble plus judicieux de parler de rencontres humaines plutôt que de prostitution. En effet, même s’il peut y avoir des rapports sexuels, il ne faut pas oublier le côté humain : pouvoir parler, avoir des gestes tendres, se sentir vibrer. Tout ceci peut, l’espace d’un instant, sortir la personne en situation de handicap d’une misère affective et sexuelle dramatique. Il ne s’agit pas là de faire de l’assistanat social car, même si cela relève d’une difficulté immense, j’essaie par tous les moyens de nourrir mon esprit. Je m’organise pour sortir le plus souvent possible au théâtre, au cinéma, etc.
Seulement voilà, j’entends tous les jours les appels au secours de mon corps car lui aussi a besoin de se nourrir et là, je me sens impuissante ! Que dois-je faire ? Aller aux putes ? Pour tout vous avouer, j’y pense depuis plusieurs années. Mais c’est sans compter le coût que représenterait cette prestation et la difficulté que cela représenterait à mettre en place vu que je ne peux me déplacer sans l’aide d’un tiers. A cela vient s’ajouter la peur de se retrouver en face d’une personne inconnue et surtout sans aucune connaissance du handicap.
Sincèrement, ne pensez-vous pas qu’il serait plus subtil de former des personnes compétentes comme en Suisse, en Hollande et au Danemark ? Elles sont formées de nombreux mois pour faire face aux demandes des handicapés, apprenant les gestes adéquats et surtout, point très important, sont volontaires et en aucun cas forcées. Elles ont, par ailleurs, une vie de famille équilibrée et une profession. Ces prestations ne sont pour ces personnes que ponctuelles et ne sont, en aucun cas, un salaire pour vivre. Lorsque j’entends que le fait de payer quelqu’un serait une forme de prostitution, ne pensez-vous pas que l’argent empêche les dérives ?
En effet, cela pose des limites, des deux côtés. Du côté de la personne handicapée, d’abord, car elle pourrait trop s’attacher et il pourrait naître des sentiments ambigus. De l’autre côté, cela empêcherait toutes les dérives perverses et exclurait les cas sociaux. Voilà pourquoi la notion d’argent est à mon sens très importante.
En lisant de nombreux témoignages sur ce sujet, je constate que, très souvent, ce sont les hommes qui parlent. Or, je suis une femme et je veux crier haut et fort que nous, les femmes handicapées, avons des besoins sexuels au même titre que les hommes. Comme eux, nous avons des pulsions. Alors comment calmer ces attentes ? Je peux le dire : mon corps n’obtenant pas ce qu’il désire le plus au monde me le fait payer très cher en me faisant la guerre. Il m’entraîne vers le bas et, malgré ma force de caractère, je sens mes forces m’abandonner. Ce corps devient trop lourd pour mon esprit. Et je pense au titre du dernier livre de Marcel Nuss, grand défenseur des droits des handicapés : Je veux faire l’amour.
En lisant mes propos, je vous supplie donc de ne pas nous laisser dans cette détresse car je parle en mon nom mais aussi au nom des autres handicapé(e)s. Comprenez, s’il vous plaît, que votre refus nous inflige une double peine. Nous sommes déjà condamné(e)s du fait de notre handicap, mais vous nous condamnez aussi à une mort affective.
(1) «Libération» du 13 mars 2013.

par Mathieu Vidard 

Patricia Assouline, Comédienne handicapée
Son sujet : Le comité consultatif national d’éthique a rendu lundi 11 mars un avis sur « la vie affective et sexuelle des personnes handicapées et la question de l’assistance sexuelle »
Elle a publié dans la rubrique « Rebonds » de Libération un article suite à la décision du CCNE de refuser des assistants sexuels pour personnes handicapées.

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