USA : En Louisiane, les prisonniers font leur rodéo


Les détenus participent tous les ans à un grand rodéo qui attire les foules.
 Une façon ludique de récolter des fonds pour leur prison et une échappatoire pour ces criminels dont beaucoup sont condamnés à la perpetuité.



Cowboy participant à un rodéo aux Etats-Unis - CC
 


Au beau milieu de l'arène, les quatre hommes pouvaient sentir l'odeur du fumier se mêlant à celle du pop corn au caramel émanant des stands.  Assis sur une chaise en plastique, les mains posées sur une table de poker placée devant eux, les pieds solidement plantés dans la boue, ils attendaient le taureau. Une fois la bête libérée, il faut être le dernier à rester assis pour remporter cet épreuve de rodéo d'un genre particulier. C'est le jeu du "Poker du détenu". 

Difficile de les distinguer sous leurs casques noirs, leurs gilets de protection et leurs uniformes rayés. Celui qu'on appelle Timmy Lo fait une prière silencieuse. Juggernaut [Le Poids lourd] espère que sa cheville blessée ne va pas trop le ralentir s'il doit se mettre à courir. L'homme assis à côté de lui, Tiger [le Tigre], veut reprendre le titre de champion. Et le dernier, Bucket Head [Tête de noeud], espère otenir la fierté de sa famille. Tous veulent remporter les 250 dollars promis au vainqueur et le ceinturon qui sacre le champion. Mais devant les 11 000 personnes venues assister au plus ancien rodéo de prison, les quatre hommes cherchent aussi autre chose : le respect. 

"Toutes les histoires qu'on a pu entendre. On nous considère comme des animaux... Mais quand je suis dans l'arène, je ne suis plus un démon armée d'une fourche, je suis moi-même", explique Todd Plaisance dit Tiger. 

Le centre carcéral de l'Etat de Louisiane était autrefois une plantation appelée Angola du nom du pays d'origine de ses esclaves. Les détenus travaillent dans les champs pour deux cents de l'heure dans ce qui est aujourd'hui la plus grande prison de haute sécurité des Etats-Unis. La prison possède un couloir de la mort et héberge plus de 6200 prisonniers, dont certains sont des meurtriers, des auteurs de vol à main armé et des violeurs (ces derniers sont exclus du rodéo).

Grâce à la vente des tickets et aux bénéfices liés à la restauration et à la vente des objets d'artisanat confectionnés par les détenus, le rodéo, qui a lieu deux fois par an, permet d'aider au financement du programme de réinsertion de l'établissement. "Cela permet aux contribuables de voir concrètement comment leur argent peut permettre à ces hommes de changer de vie", explique le directeur de prison Burl Cain. "La plupart des établissements se contentent d'enfermer les prisonniers et de les nourrir. Nous avons d'autres ambitions : redonner de l'espoir à des gens qui ont perdu tout espoir - et c'est justement ce que fait le rodéo." 

Des prisonniers transformés en héros

Garder espoir à la prison d'Angola n'est pas toujours évident. Près de 80% des prisonniers ne reçoivent jamais de visites, explique le directeur. 95% des détenus mourront entre ces quatre murs. Mais, deux fois par an, en avril et en octobre, ils peuvent devenir les héros du "spectacle le plus dingue du sud". Pour Travis Johnson, dit "Bucket Head", 33 ans, qui a remporté le Poker du détenu en avril, tout est question de volonté. "C'est vraiment chaud, dit Johnson à propos de ses concurrents. C'est le taureau qui départage les vainqueurs." Le gagnant de l'épreuve pourra participer à la finale une semaine plus tard.
Certains spectateurs disent éprouver de la sympathie pour ces hommes, sans pourtant rien savoir de leurs crimes. Timothy Gat dit "Timmy Lo" et Casey Weeks dit "Juggernaut" ont été condamnés pour vol à main armée et Johnson et Plaisance sont ici pour meurtre. Terri Johnson, une aide-soignante de 51 ans, est venue en famille : "Il y a plus d'enjeu parce que ce ne sont pas des professionnels. Il faut vraiment être cinglé pour rester là à attendre que le taureau leur fonce dessus." 

Dans l'arène, tandis que Timmy Lo, Juggernaut, Tiger et Bucket Head attendent leur tour, quatre détenus s'assoient à la table de poker. Un énorme taureau noir sort de l'enclos comme une bombe et fonce droit sur eux, balayant les hommes et la table comme un château de cartes. "Ça vous a plu ?" s'époumonne le présentateur dans le micro. La foule acquiesce bruyamment. Les places autour de la table sont attribuées. Weeks, 39 ans, devra tourner le dos au taureau, c'est la place la plus dangereuse.
"Ici on n'a pas besoin de talent particulier, juste une bonne dose de chance, dit Plaisance. Il n'y a plus qu'à espérer que le taureau ne me fera pas tomber de la chaise." Plaisance, 38 ans, a été envoyé à Angola en 2000. Il y travaille comme gardien du bétail et a participé à pratiquement tous les rodéos depuis son arrivée. Seuls les détenus qui se comportent bien peuvent participer.

Prier avant l'entrée dans l'arène

A 37 ans, Gay est un autre vétéran du rodéo. Il s'est blessé à l'entrejambe en tombant de cheval lors de l'épreuve de rodéo sans selle, son premier en 2001 mais c'est lui qui a remporté l'épreuve. Et c'est la première fois qu'il tente le "Poker du détenu". Gay est un chrétien baptiste qui à l'habitude de prier avant d'entrer dans l'arène. Il dédie ce rodéo à la mémoire de son père décédé en mai. Sa famille ne lui rend pas souvent visite. Johnson est un petit homme trapu, il porte son premier chapeau de cow-boy et participe au rodéo tous les ans depuis son arrivée en 2001. Cette fois, sa mère, sa soeur et d'autres membres de sa famille doivent venir assister au spectacle, mais cela ne lui porte généralement pas chance. "Quand ils viennent me voir, je prend généralement des mauvais coups", dit-il en souriant tristement et en découvrant ses dents refaites depuis le dernier rodéo.
Weeks qui a commencé à purger sa peine en 2000 a un autre sujet d'inquiétude : sa cheville gauche, enflée depuis qu'il a pris un coup de sabot alors qu'il travaillait dans les champs, la semaine dernière. Il est plutôt costaud mais si le taureau se met à charger, il craint de ne pas pouvoir l'éviter à temps. "Vous en voulez encore ?", hurle l'animateur une fois le taureau ramené dans son enclos. Les applaudissements redoublent d'intensité. C'est l'heure de la deuxième manche de ce Poker d'un genre particulier.
Weeks, Gay, Johnson et Plaisance prennent place. La porte de l'enclos s'ouvre. Cette fois, le taureau contourne la table mais deux cowboys remettent l'énorme animal sur le droit chemin. Pris de fureur, il fonce sur les détenus et balaye la chaise du détenteur du titre de champion, Plaisance. Pendant une seconde, Plaisance reste sur place comme assis sur une chaise invisible. Il esquisse un geste de frustration puis quitte l'arène.
Ils ne sont plus que trois autour de la table. Le taureau s'écarte à nouveau, puis charge, piétine la table et fait voler Johson sur Gay. Johnson doit quitter l'arène. Gay a beau être au sol, il est encore techniquement autour de la table. Plus pour longtemps, car il doit se relever rapidement pour échapper à la fureur de la bête. C'est donc Weeks, assis devant ce qu'il reste de la table qui l'emporte. Le taureau revient à la charge et Weeks doit prendre la fuite aussi vite que sa cheville blessée le permet. Le taureau sur les talons, recouvert des débris de la table, Weeks parvient à se mettre à l'abri.

Il est très fier d'avoir remporté l'épreuve "à la loyale" même si la chance a beaucoup à voir dans sa victoire. "Il faut avoir des nerfs d'acier, reconnaît-il. Mais le plus important, c'est que Weeks a repris espoir. Gay, Plaisance et Johnson sont condamnés à la perpétuité mais Weeks doit "seulement" purger une peine de 34 ans de prison et pourrait être libéré en 2028. C'est encore loin, mais il pense déjà à sa sortie. Personne n'est venu assister à son triomphe mais il avait reçu la visite de sa famille quelques semaines auparavant et sa fille de 17 ans l'attend à Lafayette [ville de Lousiane]. En attendant sa libération, il participe au programme de réinsertion de la prison.

Alors que les derniers spectateurs quittent l'arène, les détenus se rassemblent pour être comptés puis escortés jusqu'à leur cellule. Malgré sa cheville douloureuse, Weeks est optimiste : la semaine prochaine, il pourra participer à la grande finale du "Poker des détenus".
Source courrierinternational.com

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