USA • Prisons en Louisiane, un business qui rapportent gros

L’Etat du Sud profond détient le record mondial du taux d’incarcération. Et pour cause: il a transformé son système carcéral en une industrie particulièrement profitable.

Premier article, ici le centre pénitentiaire d'Angola et présenté comme un système pernicieux, inhumain, etc. 

Où est la vérité ? CR

 
La Louisiane est la championne du monde des prisons. C’est l’Etat qui, proportionnellement à sa population, compte le plus de détenus par rapport à tous les autres Etats américains. Et sa première place aux Etats-Unis lui assure la première place dans le monde. Le taux d’incarcération de la Louisiane est près de trois fois supérieur à celui de l’Iran, de sept fois à celui de la Chine et de dix fois à celui de l’Allemagne.Au cœur de cette machine carcérale bien huilée, on retrouve le plus froid et le plus cruel des moteurs : l’argent. Les détenus de Louisiane sont en majorité incarcérés dans des établissements à but lucratif, qui doivent recevoir un flux constant d’êtres humains pour éviter que ce secteur – qui pèse 182 millions de dollars [145 millions d’euros] – périclite. Plusieurs sociétés pénitentiaires privées se partagent le gâteau. Mais la Louisiane a une particularité : les entrepreneurs du secteur carcéral sont pour la plupart des shérifs ruraux qui financent leur activité de maintien de l’ordre en grande partie grâce aux dollars légalement prélevés sur leurs activités pénitentiaires. Si le nombre de détenus chute, les finances des shérifs sont saignées à blanc, leurs électeurs perdent leurs emplois. Le lobby des prisons s’assure donc qu’une telle éventualité n’arrive pas en bloquant presque toutes les réformes qui pourraient entraîner une diminution du nombre de personnes placées derrière les barreaux.

Un secteur florissant


Au cœur de ce système, les détenus végètent dans des conditions précaires, ayant peu ou pas accès à des programmes de réinsertion qui pourraient leur permettre de devenir des citoyens productifs. Chaque détenu rapporte 24,39 dollars par jour en argent fédéral. Les shérifs les négocient comme des chevaux, se déchargeant de leurs hôtes superflus au bénéfice d’un collègue qui a des places libres. Le système carcéral de Louisiane – qui louait au XIXe siècle ses détenus pour travailler dans les plantations  – a bouclé la boucle et est redevenu un secteur éminemment profitable.

Au cours des vingt dernières années, la population carcérale de l’Etat a doublé, coûtant des milliards de dollars aux contribuables, alors que La Nouvelle-Orléans caracole toujours en tête du classement des villes américaines pour le nombre d’homicides qui y sont perpétrés.

En Louisiane, 1 adulte sur 86 est en prison, soit près du double de la moyenne nationale. A La Nouvelle-Orléans, 1 homme noir sur 14 est derrière les barreaux et 1 homme noir sur 7 est soit en prison, soit en sursis, soit en liberté conditionnelle. Le taux de criminalité de l’Etat est relativement élevé, mais cela ne suffit pas à expliquer le fait qu’il détienne le record du nombre de personnes incarcérées.

En Louisiane, un voleur de voiture qui récidive une seule fois peut être condamné à une peine de vingt-quatre ans ferme. Trois condamnations pour trafic de drogue suffisent pour être emprisonné à vie à la prison d’Etat d’Angola. “Il faut faire quelque chose pour les longues peines”, souligne le directeur de la prison d’Angola, Burl Cain. “Il y a des gens que nous pouvons laisser sortir d’ici, qui ne feront de mal à personne et qui seront de bons citoyens. Nous connaissons ceux qui ne peuvent pas être libérés.”

Chaque dollar dépensé dans les prisons est un dollar qui n’est pas dépensé dans les écoles, les hôpitaux ou pour l’entretien des routes. Si d’autres Etats réduisent stratégiquement leur population carcérale, ce n’est pas le cas de la Louisiane, qui compte pourtant un pourcentage bien plus faible de personnes incarcérées pour des crimes violents et un pourcentage bien plus élevé de personnes derrière les barreaux pour des infractions liées la drogue que tous les autres Etats.

Les 40 000 détenus de Louisiane méritent-ils tous de rester derrière les barreaux au nom de la justice et de la sécurité publique ? Pour le gouverneur de Louisiane, Bobby Jindal, un républicain conservateur, la réponse est non. Pourtant, aucun signe n’indique que l’Etat est prêt à renoncer à sa dépendance à l’univers carcéral.

“Certaines personnes sont extrêmement investies dans la préservation du système actuel, et pas seulement des shérifs, mais des juges, des procureurs, etc.”, explique Burk Foster, ancien professeur à l’université de Louisiane. “Ils ne veulent pas entendre parler d’une baisse du nombre de détenus, même si la criminalité recule, car ils sont tous liés à un réseau qui les avantage financièrement et politiquement.”

Au début des années 1990, alors que le taux d’incarcération était deux fois moins élevé qu’aujourd’hui, la Louisiane s’est retrouvée sommée de réduire sa surpopulation carcérale par un tribunal fédéral. L’Etat avait deux choix : enfermer moins de gens ou construire plus de prisons.

Il a choisi la seconde option, non pas en bâtissant de nouvelles prisons d’Etat – il n’y avait pas d’argent pour ça. Il a choisi d’encourager les shérifs et les entreprises privées à construire des prisons en leur promettant un retour sur investissement. Les incitations financières étaient si alléchantes et les emplois dans l’univers carcéral si recherchés que de nouveaux centres de détention ont poussé comme des champignons dans toute la Louisiane. La surpopulation est devenue un lointain souvenir, et ce malgré l’explosion de la population carcérale.

Aujourd’hui, les directeurs des prisons locales passent quotidiennement des appels téléphoniques à d’autres centres de détention à la recherche de condamnés pour remplir leurs lits. Les zones urbaines comme La Nouvelle-Orléans et Baton Rouge ont souvent trop de criminels condamnés, alors que les prisons rurales doivent importer des détenus pour survivre. Plus il y a de lits vides, plus l’exploitation est dans le rouge. En revanche, avec des taux d’occupation maximum et une gestion prudente des dépenses, un shérif peut employer les bénéfices dégagés pour son activité de maintien de l’ordre, en équipant ses adjoints de nouvelles voitures, d’armes flambant neuves et d’ordinateurs dernier cri. Les détenus, eux, passent des mois ou des années dans des dortoirs de 80 lits sans rien à faire et disposent rarement de possibilités de formation, avant d’être rendus à la société avec 10 dollars et un ticket de bus.

Graphiques écomomiques

Des prisons exiguës et vétustes

Fred Schoonover, directeur adjoint d’un centre de détention de 522 lits à Tensas, dans le nord-est de la Louisiane, affirme qu’il ne considère pas les détenus comme une “matière première”. Mais, comme d’autres directeurs de cette partie de l’Etat, il magouille pour avoir son quota d’êtres humains. Son supérieur, Rickey Jones, le shérif de la ville de Tensas, compte sur lui pour continuer à faire grimper les chiffres. “Nous nous battons. Je passe beaucoup de temps au téléphone à appeler dans tout l’Etat, en essayant d’en dégoter quelques-uns”, explique Schoonover.

Certains shérifs, et même quelques petites villes, choisissent de confier la sous-traitance de leurs prisons à des sociétés privées. La société LaSalle Corrections héberge 1 prisonnier sur 7 en Louisiane. LCS Corrections Services, une autre société privée, gère trois prisons en Louisiane et n’hésite pas à redistribuer une partie de ses bénéfices en faisant des dons pour soutenir les campagnes électorales de politiciens, au niveau local comme au niveau de l’Etat.

Demandez à quiconque a passé du temps derrière les barreaux en Louisiane s’il ou elle préférerait être dans une prison gérée par l’Etat ou par un shérif local et la réponse est invariablement : dans une prison d’Etat. Les détenus des prisons locales sont en général condamnés à des peines de dix ans ou moins pour des faits sans violence, comme la possession de drogue et les cambriolages. Les prisons d’Etat sont réservées aux criminels les plus endurcis. Et pourtant ce sont eux qui apprennent la soudure, la mécanique ou la plomberie. Le pénitencier d’Etat d’Angola est le seul à offrir à ses détenus une chance de décrocher un diplôme de premier cycle. Ces opportunités n’existent pas pour les 53 % de détenus qui purgent leur peine dans les prisons locales.

La Louisiane s’est peu à peu spécialisée dans l’incarcération bas de gamme, en allouant beaucoup moins d’argent pour chaque détenu que tous les autres Etats. Dans les prisons locales, le per diem est de 24,39 dollars par détenu, soit une somme largement inférieure à ce qu’Angola et d’autres prisons d’Etat dépensent. Leurs installations sont exiguës et vétustes, contrairement aux prisons d’Etat, mieux dotées et plus spacieuses.

Avec un casier judiciaire, il est difficile de trouver du travail. Cinq ans après leur libération, près de la moitié des ex-détenus finissent par revenir en prison. Gregory Barber, un détenu âgé de 50 ans, s’est retrouvé aux premières loges pour observer le contraste entre prison d’Etat et prison locale. Il a commencé à purger sa peine de quatre ans au Centre correctionnel de Phelps, géré par l’Etat : un coup de chance pour quelqu’un comme lui, qui devait purger une peine relativement courte et aurait facilement pu être remis aux mains d’un shérif local.

Carte de situation

Aucun effort de réinsertion

Alors qu’il ne lui reste que six mois à tirer, ce natif de La Nouvelle-Orléans a été transféré au Centre correctionnel de Richwood, une prison gérée par la société privée LaSalle, installée près de Monroe. Il avait espéré finir de purger sa peine en bénéficiant d’un programme de placement professionnel à l’extérieur, pour augmenter ses chances de décrocher un emploi le jour de sa sortie. Mais son transfert de dernière minute l’a rendu inéligible à un tel programme. A Phelps, il prenait des cours de soudure. Aujourd’hui, il tue le temps allongé sur son lit. “Dans les prisons d’Etat, vous sortez tous les jours, vous allez au travail, témoigne Barber. Ici, le temps passe encore plus lentement.”

Alors que la Louisiane détient le record du nombre de citoyens emprisonnés, elle est en constante compétition avec le Mississippi (Etat qui affiche le deuxième taux d’incarcération le plus élevé des Etats-Unis) pour les écoles les pires, la plus grande pauvreté et le taux de mortalité infantile le plus élevé. En Louisiane, 1 détenu sur 3 a un niveau de lecture inférieur à celui d’un élève de CM2. L’immense majorité n’a pas terminé le lycée. La Louisiane dépense environ 663 millions de dollars par an pour nourrir et héberger ses 40 000 détenus, assurer leur sécurité et leur fournir des soins médicaux. Près d’un tiers de cet argent – 182 millions de dollars – va aux prisons à but lucratif, qu’elles soient dirigées par des shérifs ou des sociétés privées.

“Il est clair que plus la Louisiane investit dans l’incarcération à grande échelle, moins il y a d’argent disponible pour tout le reste, des écoles maternelles à la police de proximité, alors que cela pourrait permettre de réduire la population carcérale”, regrette Marc Mauer, directeur exécutif de The Sentencing Project, une association qui milite pour une réforme de la justice pénale.

L’épidémie carcérale qui frappe la Louisiane affecte de façon disproportionnée les quartiers déjà dévastés par la criminalité et la pauvreté. Dans certains coins de La Nouvelle-Orléans, un séjour derrière les barreaux est un rite de passage pour les jeunes hommes. Plus de 5 000 hommes noirs originaires de La Nouvelle-Orléans purgent aujourd’hui une peine dans une prison d’Etat, contre seulement 400 Néo-Orléanais blancs. La police concentre en effet ses ressources sur les quartiers où la criminalité est le plus élevée. Les petits délinquants y sont plus susceptibles d’être arrêtés et fouillés, ou pris dans un coup de filet antidrogue que, par exemple, un étudiant dans un quartier huppé qui se livrerait à un petit trafic.

Certains quartiers sensibles entrent alors dans une véritable spirale infernale. Avec la hausse du taux d’incarcération, de plus en plus d’enfants grandissent avec un père, un frère, un grand-père ou un oncle en prison, ce qui leur fait courir un plus grand risque de répéter le cycle à leur tour.

Le pénitencier d’Etat d’Angola héberge de nombreux vieillards incapables de sortir de leur lit et encore moins de commettre un crime. Quelqu’un qui a commis une terrible erreur dans sa jeunesse et s’est transformé après des décennies de détention n’a que peu de chances, si ce n’est aucune, de retrouver sa liberté.

La Louisiane affiche le pourcentage le plus élevé de détenus purgeant une peine à perpétuité sans possibilité de mise en liberté conditionnelle. Son système judiciaire est aussi implacable pour les petits délinquants que pour les criminels violents. En quatre ans de mandat, le gouverneur républicain Bobby Jindal n’a accordé sa grâce qu’à un seul détenu.



“La Louisiane est sans pitié. Moi, je pense que tout le monde a droit à une seconde chance”, explique Preston Russell, condamné à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour une série de vols et une affaire de crack. Un détenu à Angola coûte en moyenne à l’Etat 23 000 dollars par an. La détention d’un jeune condamné à perpétuité, s’il atteint l’âge de 72 ans, l’espérance de vie masculine moyenne en Louisiane, coûtera au total plus de 1 million de dollars aux contribuables.

Vieillir derrière les barreaux

Russell, 49 ans, est en bonne santé, mais il vieillit, et le traitement des maladies liées à l’âge coûte cher. L’Etat de Louisiane dépense environ 24 millions de dollars par an pour s’occuper de 300 à 400 détenus infirmes. Incarcéré depuis treize ans à Angola, Russell fond en larmes lorsqu’il raconte comment il s’est rebellé contre la grand-mère qui l’a élevé et a fugué de son domicile dès qu’il a pu. Il a commencé par fumer de l’herbe, puis l’herbe s’est transformée en crack, en deal de drogue et en cambriolages de magasins. La dernière infraction qui l’a mené derrière les barreaux pour le reste de sa vie était le cambriolage d’un restaurant Fat Harry’s et le vol de 4 000 dollars dans les machines à sous d’un bar des quartiers chics.

La crise économique a conduit de nombreux Etats à réduire leur population carcérale. Même au Texas, un Etat dont la réputation répressive n’est plus à faire, une nouvelle loi envoie les petits délinquants dans des centres de désintoxication et propose des alternatives à la prison.

En Louisiane, même les plus petites mesures rencontrent une certaine résistance. Bobby Jindal, qui a été élu au poste de gouverneur avec l’appui du lobby des shérifs, reconnaît qu’il y a trop de personnes derrière les barreaux. Pourtant, en début d’année, il a édulcoré un projet de réforme conçu par la Commission d’application des peines, qu’il avait lui-même convoquée. Cette commission incluait des shérifs et des procureurs : ses propositions étaient donc déjà modestes.

Pour réduire significativement le nombre de détenus, la durée des condamnations pour crimes violents doit être réduite et davantage d’argent doit être investi dans les quartiers difficiles. C’est en tout cas l’opinion de David Cole, professeur à la Georgetown Law School. Mais un si grand changement ne peut se produire que si une volonté politique existe.

En Louisiane, il semblerait qu’elle soit pratiquement inexistante. L’enfermement du plus grand nombre pour la plus longue durée possible en a enrichi quelques-uns tout en appauvrissant tous les autres. La sécurité publique passe visiblement après le profit.

A voir article et vidéos en anglais sur courrierintational.com

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